INTERVIEW : Les coopératives de cacao de Côte d’Ivoire et du Ghana face aux régulations contre la déforestation importée – regards croisés d’Ousmane Traoré (ECAKOOG) et Stephen Ashia (ABOCFA)

11 juillet 2022
5 min

Que signifie pour vous un « cacao zéro déforestation » ?

Stephen Ashia : c’est un cacao pour lequel aucune zone forestière n’a été défrichée.

Ousmane Traoré : Chez ECAKOOG, nous identifions 3 niveaux de responsabilité pour produire un cacao responsable et durable :  la responsabilité des producteurs qui doivent s’engager à ne plus défricher les forêts pour l’extension ou la création de nouvelles plantations en protégeant les forêts résiduelles à proximité, la responsabilité des chocolatiers qui doivent acheter du cacao aux conditions du commerce équitable et enfin celle  des consommateurs, qui doivent accepter de payer un prix juste pour un cacao responsable et durable.

Vos coopératives semblent aujourd’hui particulièrement engagées sur les questions de transition agro-écologique et de production en agriculture biologique. On sait que l’exploitation du cacao a largement contribué à la déforestation en CI et au Ghana ces dernières décennies. Néanmoins, pourriez-vous nous indiquer en quoi vos actions contribuent à éviter la déforestation dans vos pays ?

Ousmane Traoré : La coopérative ECAKOOG sensibilise et forme les producteurs sur le changement climatique, l’importance de la forêt pour le maintien du climat et la séquestration carbone et les dangers causés par les feux de brousse et les défrichements abusifs. En plus des pratiques de production biologique que nous mettons en œuvre depuis 2020, nous produisons et distribuons des arbres d’ombrage aux producteur.rice.s membres de notre coopérative pour qu’ils les plantent sur leur parcelle de cacao.

Stephen Ashia : Nous avons formé les producteur.rice.s de notre coopérative aux systèmes d’agroforesterie dynamique. ABOCFA a cultivé des semis d’arbres d’ombrage et les a distribués aux agriculteurs pour qu’ils les plantent dans leurs cacaoyeres, et en parallèle, nous avons entamé le processus d’enregistrement des arbres plantés par les producteurs sur leurs parcelles auprès de la Commission forestière du Ghana afin qu’ils en soient les propriétaires.

Les exigences internationales notamment de l’Union européenne en matière de durabilité sont en cours d’évolution et la Côte d’Ivoire comme le Ghana vont devoir prouver leur capacité à y répondre pour ne pas se voir fermer l’accès à ce marché. Comment les producteurs de cacao ivoiriens/ghanéens et leurs coopératives, qui sont de taille très diverse, vont pouvoir d’après vous adapter leurs pratiques et se mettre en conformité ?  A quel prix ?

Ousmane Traoré : Les producteurs peuvent s’adapter. Mais, il faudrait que les chocolatiers et consommateurs finaux décident de consommer du cacao équitable et durable afin de permettre aux producteurs d’avoir des revenus décents, ce qui encourageraient leurs efforts pour se conformer aux exigences.

Stephen Ashia : Actuellement, ABOCFA est le principal producteur de cacao biologique équitable au Ghana et peut-être en Afrique de l’Ouest, et nous consacrons beaucoup d’efforts pour assurer cela.  Cependant, pour assurer la durabilité de la filière et de l’approche mise en place par ABOCFA, une augmentation sensible du prix au producteur pour la tonne de fèves de cacao biologique est espérée, tout comme l’accès à des subventions permettant d’investir dans le changement de pratiques et leur diffusion.

Vos coopératives incarnent vraiment une vision moderne et positive de la filière cacao en RCI/Ghana et vous faites la démonstration qu’il est possible de répondre aux défis pluriels actuels de la filière cacao en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous à ce sujet nous détailler davantage ce que vous mettez en œuvre en matière de traçabilité, nous parler de votre expérience avec différents outils et méthodes de traçabilité ?

Stephen Ashia : Pour ABOCFA, la traçabilité est essentielle à sa production biologique et équitable et permet d’évaluer les risques et de s’assurer que les normes de qualité soient respectées pour assurer la conformité. Actuellement, la méthode utilisée par ABOCFA pour la traçabilité des fèves de cacao biologiques et du commerce équitable est appelée Bean Tracker, développée par notre partenaire Tony’s Chocolonely. Cet outil permet de tracer les fèves produites par chaque agriculteur, en passant par les commis aux achats, la société acheteuse agréée et le port. Il suit également l’expédition par l’exportateur vers les clients en Europe. Les factures et le paiement des prix et primes sont générées dans le système de suivi. À tout moment, il est possible de connaître le mouvement des fèves et le volume produit par chaque agriculteur.

Ousmane Traoré : Nous travaillions jusqu’à maintenant avec les outils de nos différents partenaires qui ne nous permettaient pas d’avoir accès à nos propres données après les avoir collectées. Grâce à un projet pilote de Fairtrade Africa, nous sommes en train de tester un outil qui nous permet de digitaliser toutes nos opérations de traçabilité. Les données que nous entrons dans ce logiciel concernent les achats, les inspections internes, le géoréférencement d’arbres d’ombrages et des parcelles, les formations et coachings, la participation des planteurs aux différents projets de la coopérative, etc.