Filière karité au Burkina Faso : faire reculer les inégalités hommes-femmes

12 juin 2021
7 min

Parole d’actrices – Deux responsables de coopératives de beurre de karité au Burkina Faso nous font part des défis à relever et des solutions pour lutter contre les inégalités de genre dans les organisations de producteur·ice·s.

Rencontre avec Sonia Sandrine Ouedraogo :

  • Mariée
  • Mère de 4 enfants
  • Ex présidente de l’UGF CDN (6956 membres, Burkina Faso), aujourd’hui chargée de prospection et fidélisation de la clientèle

Rencontre avec Adjara Traore :

  • Née à Bobo Dioulasso en 1985
  • Mariée depuis 2009
  • Mère d’un garçon de 5 ans
  • Responsable de la commercialisation chez UCPPK (ex UGPPK), au Burkina Faso
  • Observez-vous (préciser où) des inégalités entre les hommes et les femmes ? A votre niveau, pouvez-vous contribuer à changer les choses ?

Sonia Sandrine Ouedraogo : Les inégalités entre les hommes et les femmes se constatent à plusieurs niveaux.

Au niveau éducationnel, qu’il s’agisse d’éducation formelle ou informelle, le garçon est toujours mieux éduqué que la fille.

Nous pouvons aussi observer des inégalités sur notre contexte socio-culturel : aujourd’hui, il y a par exemple de grandes inégalités quant aux droits de succession et de propriété. De plus, certaines pratiques traditionnelles comme l’excision, la polygamie, les mariages forcés et arrangés, persistent encore. A tout cela s’ajoutent les violences sexuelles que peuvent subir les femmes.

Une autre inégalité indéniable est la difficulté d’accès à l’emploi. Certains maris sont récalcitrants au fait que leur femme accède à un emploi salarié, et les activités économiques qu’elles mènent dans le secteur informel sont généralement moins bien rémunérées que celles des hommes.

La femme a également une charge de travail domestique bien plus importante que l’homme. Elle est souvent la première levée et la dernière à se coucher au sein du foyer. La fatigue accumulée a des impacts négatifs sur sa santé, mais aussi sur sa productivité.

Au sein de la sphère politique, les femmes présentes dans les instances de décision sont également peu nombreuses.

Adjara Traore : Notre coopérative UCPPK a quelques solutions pour réduire ces inégalités :

> Notre structure a obtenu 64 millions de francs CFA pour accompagner 1025 femmes auprès d’une structure de micro-crédit en se portant garante pour ses membres et leur faciliter l’accès aux ressources productives.

> Nous développons également des activités génératrices de revenus pour renforcer les moyens de subsistance des femmes membres de notre union.

> Nous faisons aussi du plaidoyer auprès des décideurs pour favoriser l’accès de nos membres aux ressources productives et aux formations.

  • Quelles sont les difficultés rencontrées par les femmes productrices (de karité)? Au sein de votre coopérative, comment tentez-vous d’améliorer leur situation ?

Sonia Sandrine Ouedraogo : Les productrices de beurre de karité rencontrent des difficultés à plusieurs niveaux de la production: stockage, moyens logistiques, capacités de production, etc. Les femmes traitent souvent les amandes de karité dans leur foyer, avec les risques d’ébouillantage et de contamination que cela entraîne.

Face à ces difficultés, la mécanisation d’une partie de l’unité de transformation au niveau de l’UGF-CDN a déjà permis de diminuer la pénibilité du travail des femmes. Nous souhaitons aussi construire un centre de traitement des noix et un grand magasin de stockage. Pour finir, nous accompagnons les productrices à l’obtention de microcrédits.

  • En tant que femme (ancienne présidente de votre coopérative) et aujourd’hui avec les responsabilités que vous avez, rencontrez-vous des obstacles ? Comment les surmontez-vous ?

Sonia Sandrine Ouedraogo : Les obstacles au leadership féminin sont de plusieurs sortes :

Les préjugés et stéréotypes sur les femmes (considérées comme moins combatives, moins compétentes et sans ambition), qui poussent les hommes à privilégier la collaboration avec d’autres hommes.

La jalousie suscitée autour de la femme de pouvoir, qui ne lui laisse pas le droit à l’erreur.

La difficulté de combiner la gestion de son foyer et des tâches ménagères avec ses activités professionnelles.

Pour surmonter ces difficultés, il faut avant tout avoir un comportement basé sur l’écoute, pour que des situations en défaveur des femmes ne se reproduisent pas. Nous devons aussi travailler en équipe, être flexibles sur le temps de travail et prendre en compte les besoins de chacune des parties prenantes. En pratiquant un management participatif, on peut réfléchir à une solution qui satisfasse tout le monde !

  • Le commerce équitable contribue -t-il à changer la situation des femmes dans votre coopérative ? Si oui, comment ?

Adjara Traore : Nous sommes inscrites dans le mouvement du commerce équitable depuis 2008, si nous n’en avions pas récolté les bienfaits, nous aurions abandonné depuis longtemps !

Plus sérieusement, le commerce équitable a été moteur de beaucoup de changements positifs à notre niveau, déjà par l’augmentation des revenus à travers les prix de vente intéressants. Les conditions de travail des femmes ont aussi fortement changé, grâce à l’acquisition d’équipements pour la transformation du beurre de karité. Nous avons aujourd’hui un acheteur sûr, clair et durable ! Et cette garantie est très importante pour mener à bien des projets.

Avec le commerce équitable, les conditions de vie de nos membres ont aussi été améliorées. Les femmes arrivent à se prendre en charge sur le plan sanitaire et arrivent même à épargner, pour construire des maisons ou investir dans le développement d’autres activités génératrices de revenus car le karité n’est pas productif toute l’année. Les femmes peuvent aussi financer l’école de leurs enfants : l’une d’entre elles a vu son enfant devenir ainsi cadre au ministère de l’environnement !

Le commerce équitable a aussi permis aux femmes d’accéder à une éducation minimale et à l’alphabétisation et cela a contribué à leur donner confiance en elles.

  • Quel serait votre conseil pour les femmes du monde entier ?

Sonia Sandrine Ouedraogo : Chaque femme doit faire le point pour préparer l’avenir et saisir les opportunités qui toucheront les futures générations de femmes, lutter pour les capacités de résilience des femmes. Chaque façon de parler et d’agir peut être une source de changement pour la société, et nous pouvons œuvrer ensemble pour l’égalité des genres.

Adjara Traore : Le 8 mars, c’est la commémoration de la lutte des femmes pour leurs droits. Cela ne doit pas être vécu comme une fête mais un jour pour faire chaque année le bilan des acquis et des erreurs, un jour pour fixer de nouveaux objectifs en lien avec les besoins actuels de la femme.

Je souhaite donc à toutes ces femmes de belles journées de réflexion, et leur dire qu’elles sont précieuses, belles et extraordinaires, et qu’il suffit vraiment de saisir les opportunités qui s’offrent à nous.

Vive la femme burkinabée, vive la femme africaine, et vive la femme tout court !