Afrique de l’Ouest : quel rôle pour les organisations paysannes dans la gestion des crises ?

15 février 2021
7 min

Parole d’acteur – M. Ouedraogo, secrétaire exécutif du ROPPA, évoque le rôle fondamental des organisations paysannes et la force de leur réseau pour faire face aux crises à répétition que traversent les pays du Sahel.

M. Ouedraogo, secrétaire exécutif du ROPPA

Selon vous, quels ont été les principaux impacts de la pandémie de COVID 19 et du contexte sécuritaire sur les organisations paysannes ouest-africaines ?

Actuellement, les pays du Sahel font face à des crises qui impactent négativement les conditions de vie des populations rurales :

  • Les changements climatiques qui font augmenter le nombre de sécheresse et la prévalence des ravageurs
  • La crise du COVID 19
  • La sécurité des personnes et des biens

Toutes ces crises ont un impact sur les OP.

Des mesures barrières ont été prises pour empêcher la propagation de la pandémie de COVID19, ce qui a amené à la fermeture des marchés, à la limitation de la mobilité des personnes et des flux au sein des pays, dans la région ouest-africaine et avec le reste du monde. L’impact a été double car les producteur·rice·s ont vu leurs revenus baisser et les consommateurs ont vu leur accès au marché diminuer.

De plus, nous avons assisté à l’accentuation de l’insécurité alimentaire, des conflits, mais aussi du chômage chez les jeunes et les femmes, car le maraîchage n’emploie plus. Les liens intercommunautaires se sont également tendus et éclatent. L’insécurité est justifiée par divers facteurs : le chômage des jeunes, l’insuffisance des services publics de base et de la réponse apportée aux enjeux sociaux.

Le réseau de prévention des crises alimentaires prévoit que plus de 23 millions de personnes seront en insécurité alimentaire à cause de toutes ces crises à la prochaine période de soudure en Afrique de l’Ouest (juin 2021). Néanmoins, quelques solutions ont émergé au niveau des exploitations locales, pour faire face au problème d’approvisionnement en semences par exemple.

Selon vous, comment la paysannerie/les organisations paysannes peuvent jouer un rôle pour apporter des réponses aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux en Afrique de l’Ouest ?

Les organisations paysannes ont un rôle fondamental à jouer dans la prévention et la gestion de ces crises. Les tissus associatifs en Afrique de l’Ouest sont très bien structurés. Ces réseaux sont capables de diffuser l’information du niveau national au niveau local, mais ils peuvent également faire remonter très vite ce qui se passe au niveau des organisations de base et notamment pour les initiatives qui sont prises à l’échelle locale.

Grâce à cette rapidité informationnelle, ces organisations ont acquis une position clé dans l’anticipation et la réponse aux enjeux des différentes crises.

Face aux enjeux environnementaux, de nombreux paysans ont fait des innovations avec des résultats avérés très efficaces. Le rôle des organisations paysannes est de valoriser ces initiatives auprès des réseaux et des politiques pour accompagner la diffusion des bonnes pratiques.

Enfin, les organisations paysannes peuvent jouer un rôle important au niveau politique, en alimentant notamment le dialogue pour faire comprendre les besoins des communautés de base.

Cette année, face aux contextes sanitaires, sécuritaires et climatiques, quels sont, selon vous, les défis que doivent relever les OP ouest-africaines ?

La transition agro-écologique fait aussi partie du combat des organisations paysannes. En effet, l’ensemble des acteurs considèrent aujourd’hui qu’il n’est pas possible de continuer avec les modèles d’intensification aux produits chimiques. Il n’y a plus de marge de manœuvre : les sols et les sources d’eau sont empoisonnées et cela impacte la santé des populations, sans résoudre le problème de la faim !

Il faut donc développer des modèles de production durables. Les organisations paysannes doivent continuer ce combat. Avec l’aide de l’État, elles doivent appuyer les exploitations familiales à faire cette transition.

Qu’est-ce que le ROPPA prévoit de mettre en œuvre en 2021 pour accompagner les OP face à ces enjeux ?

Le ROPPA va suivre son plan quinquennal 2019 – 2023, structuré autour de 5 programmes régionaux :

  • L’accompagnement et l’appui de proximité aux exploitations familiales
  • L’évolution agro-écologique des systèmes de production agricole et l’adaptation aux changements climatiques
  • L’implication des femmes et des jeunes dans les activités économiques
  • L’organisation des filières et des interprofessions et le partage équitable de la valeur ajouté au sein des chaines de valeur agroalimentaires
  • La consommation locale et nationale des produits des agricultures familiales

Le ROPPA prévoit donc la formation de paysans relais pour accompagner la transition agroécologique, et le renforcement des centres de formation en agroécologie. Pour ces formations, une priorité est donnée aux femmes et aux jeunes.

Je voudrais revenir sur l’importance du 5ème programme, qui vise à consommer local.

Nous ne pouvons pas continuer à dépendre des importations, et nous l’avons bien vu pendant les crises. C’est pourquoi le ROPPA va s’engager dans la production de produits de base locaux. L’Afrique est capable de nourrir ses populations si les politiques mises en œuvre sont bonnes ! Il faut que l’Etat encourage la production nationale.

Face aux différentes crises, les années 2021 et 2022 vont être des années de reconstruction, qui vont demander de soutenir le dialogue avec les politiques pour apporter des solutions structurelles.

Après avoir participé aux comités de sélection du programme Equité, qu’avez-vous retenu des innovations paysannes proposées par les OP qui seront soutenues dans le cadre du programme ÉQUITÉ ?

J’ai relevé que de nombreuses organisations de producteur·rice·s ont soumis des projets, dans les 6 pays concernés, même si elles étaient plus nombreuses au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

J’ai aussi relevé la diversité de filières concernées par les projets, qu’il s’agisse de filières d’exportation, ou de filières qui se tournent aussi aujourd’hui vers le marché régional. C’est le cas par exemple des filières anacarde et karité.

Ce qui est très intéressant dans le cadre du programme Equité est que les OP qui soumettent des projets sont de toutes tailles : nous avons affaire à des unions très importantes qui regroupent des milliers de producteur·rice·s comme à des petites coopératives agricoles d’une centaine de producteur·rice·s.

J’ai été ravi de voir que les OP avaient déjà des initiatives visant au développement de l’agro-écologie et de l’agroforesterie avant de soumettre leur proposition de projet, qui rend bien compte de leur engagement.

Nous avons vu un certain nombre d’innovations dans tous les systèmes de production, qu’elles concernent la fabrication d’intrants organiques, les itinéraires techniques paysans, ou encore les nouvelles technologies, etc.

Toutes ces innovations sont très encourageantes, et si les services publics pouvaient les soutenir ce serait encore mieux.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Je souhaite surtout remercier les membres du comité, car cela a permis la rencontre et un espace de partage avec des personnes qui viennent de différents horizons, et le dialogue a été très enrichissant.

Les COSEL se sont déroulés au moment de la crise due à la pandémie de COVID, et pourtant cela n’a pas impacté leur réalisation.

J’aimerais porter une dernière fois l’attention sur les points sur lesquels nous devons continuer à insister dans les COSEL à venir, à savoir l’inclusion des femmes et des jeunes, et l’apprentissage par les pairs.